Accueil     Voir aussi la publication de Marianne du 16 Octobre 2004
Détails par Sébastien Fontenelle "un juge au-dessus des lois"
  L'impossible assainissement  L'impunité entraine une situation pire en 2014
Source : le Nouvel Observateur             Voir pages 94 extrait    94zoom    96   98   100   102

L'affaire du juge Renard et les protections dont il semble avoir bénéficié posent une nouvelle fois le problème de l'existence de réseaux de solidarité dans les professions d'autorité - magistrats, mais aussi policiers et avocats. Une affaire d'autant plus symbolique qu'elle a lieu à Nice, dans le Sud-Est, où l'on trouve 10% des maçons de France mais où se sont déroulées plus de la moitié des affaires les concernant au cours des dix dernières années, selon la comptabilité du Grand Orient de France (GO).

Dans le volumineux courrier que reçoit . le Nouvel Obs ? Chaque fois que nous publions un article traitant de la franc-maçonnerie, un nombre impressionnant de lettres et de courriels émanent de justiciables convaincus d'avoir été trahis par leurs avocats ou par leurs juges en raison de solidarités maçonniques qui leur échappent et qui englobent souvent les experts judiciaires et autres professions connexes . Lorsqu'il était grand maître du Grand Orient, Alain Bauer recevait plus d'une lettre de dénonciation par semaine. . Si la moitié ne tient pas debout, traitant de problèmes de divorce ou d'héritage, l'autre moitié nous interpelle ., reconnaissait-il alors. Difficile de faire le tri entre la réalité et les fantasmes malsains de ceux qui n'hésitent pas à écrire dans des lettres enflammées que les . juges ma­çons . ont ruiné leur commerce, quand ils n'ont pas violé leur femme ou perdu leur fille... Un seul constat s'impose : l'existence de réseaux secrets de solidarité en­tame la crédibilité de la justice et des jugements rendus.

Comment y mettre un terme ? La solution radicale serait de contraindre tous les policiers et juges francs-maçons à déclarer leur appartenance . Mais dés qu'elle est évoquée, cette solution déchaîne la foudre. Aux yeux des maçons, cet outing obligatoire est d'autant plus choquant qu'il ne s'adresse qu'à eux, alors que d'autres réseaux existent : ceux des catholiques intégristes en particu­lier. Mais aussi des solidarités floues comme celles des Corses ou des Auvergnats de Paris... La mesure serait par ailleurs très compliquée à mettre en oeuvre.

La Grande-Bretagne de Tony Blair comme l'Italie de Berlusconi, qui envisageaient de contraindre les juges à révéler leur appartenance, ont dû y renoncer. La Cour européenne des Droits de l'Homme a jugé qu'une telle dénonciation contrevenait aux principes élémentaires de la liberté de conscience.

Comment expliquer que les francs-maçons soient si bien représentés dans les professions dites d'autorité ? . Etre maçon est un bon moyen d'accélérer sa carrière dans la police ou la magistrature ., assure un juge d'instruction célèbre. . Pas plus que le syndicalisme, l'appartenance à une grande école ou la servilité consterne vis-à-vis du pouvoir en place .tempère un ancien grand maître. Il n'empêche devant le déferlement des affaires impliquant des francs-maçons au cours des années 1990 , les différentes obédiences ont pris des mesures concrètes. Jusque-là, chacune gardait un secret absolu sur son propre fichier. Résultat : tous les maçons véreux chassés de leurs loges trouvaient refuge dans une autre obédience pour poursuivre leurs activités illicites. Cela s'est fait à l'avantage - et au détriment - de la Grande Loge nationale de

France (GLNF), une obédience déiste qui s'est développée sur une logique d'. élite . au détriment des autres. Celle-là même à laquelle appartient le juge Renard. Consciente d'avoir été trop loin, la GLNF a accepté de croiser ses fichiers de maçons défaillants avec les autres obédiences afin d'écarter les brebis galeuses de la franc-maçonnerie, prise comme un tout.

Autre point d'attaque : les fraternelles, qui réunissent les maçons de différentes obédiences. Il y a d'abord eu les fraternelles politiques , réunissant des frères d'opinions différentes, qui ont été créées parce que la discussion politique était interdite dans le cadre des loges. Puis sont apparues les fraternelles socioculturelles (médecins, instituteurs, etc., désireux de croiser leurs expériences). Le système a totalement dérapé avec les fraternelles professionnelles, qui ont nourri l'affairisme . Le Grand Orient est la première obédience à les avoir condamnées. Tout comme celles qui réunissent dans une même solidarité juges, poli­ciers et avocats d'une même ville : . Au bout d'un certain temps, on ne sait plus qui est qui, où passent les lignes de fracture ., déplore un vénérable du GO.

Aujourd'hui, les obédiences affirment en choeur que tout juge ou policier maçon doit demander à être dessaisi - on dit " déporté" - s'il a un frère en face de lui. Les statuts de ces professions autorisent en effet ce type de renoncement pour éviter les conflits d'intérêts. Il n'est même pas besoin de dire pourquoi. Reste à évaluer la nature du lien qui unit le juge au justiciable. De nombreux magistrats francs-maçons estiment que leur appartenance n'obère pas leur jugement vis-à-vis d'un frère et qu'ils valent . plus que la somme de [leurs] appartenance ., comme l'assure l'un d'entre eux.
Le problème, en réalité, est insoluble. Après un scandale en 1860, la franc-maçonnerie américaine s'est transformée en une associa­tion de charité totalement transparente. Mais elle a été remplacée par une vraie société secrète, Skull & Bones (Crâne et Os), issue de grandes écoles comme Yale et accusée au­jourd'hui de toutes les connivences affairistes et judiciaires.
Airy Routier

plexité du combat contre les fameux . réseaux francs-maçons . dans la justice, dénoncés par Eric de Montgolfier, quelque temps après son installation sur la Côte.

ACTE 1 - UN MAGISTRAT TRÈS INFLUENT

L'affaire commence dans les colonnes du . Nouvel Observateur . il y a cinq ans. Dans une interview accordée à notre journal, Eric de Montgolfier dégaine : - Tous ceux qui n'ont accueilli ici ? n'ont spontanément parlé des réseaux francs-maçons. On m'a dit: tous ne comprendrez rien à cette juridiction

ni à cette région si tous ne prenez pas en compte cette réalité. (...) j'ai déjà rencontré ces réseaux ailleurs, nais ici, ils semblent vraiment influer sur le fonctionnement de la justice. . Les déclarations du nouveau procureur suscitent aussitôt un tollé. Montgolfier n'en a cure. Dans l'interview, il s'est payé le luxe d'ajuster précisément une cible : . II n'est pas sait qu'un magistrat fasse partie d'ut réseau qui a pour principe le secret. .

Ce magistrat, encore anonyme, c'est le juge Renard. Agé de 54 ans, ce fils de gendarme, fut et courtois, présente un drôle de profil en

clair-obscur. . C'est l'homme le plus intelligent que je connaisse ., observe un avocat niçois qui l'a beaucoup fréquenté par le passé. Son premier dossier de notation, alors qu'il est substitut à Annecy, fait état du . sérieux de son caractère, de ses connaissances juridiques approfondies, son aisance a son assurance dans l'exercice de . sont métier Rapidement, il obtient sa mutation dans son berceau natal, les Alpes-Maritimes. Un département qu'il ne s'a plus quitter. Renard y exerce ses talents depuis vingt-deux ans, dont dix-sept passés comme juge d'instruction. Il a toujours été excellemment noté. Ce qui ne